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1989 : l'affaire de Creil

Contexte

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A la rentrée 1989, au collège de Gabriel-Havez de Creil, la direction de l'établissement fait face aux demandes de parents d'exempter les élèves de confession juive des cours du samedi, jour de shabbat.

Cette revendication, également portée par des minorités chrétiennes (adventistes, branches fondamentalistes de l'église réformée) contrevient aux principes de neutralité religieuse de l'Etat, dont celle de l'administration de l'enseignement public, qui ne salarie ni ne privilégie aucun culte.

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C'est dans ce contexte que trois élèves de confession musulmane se présentent voilées au collège, entraînant leur exclusion temporaire, ouvrant un débat qui dépasse très vite la situation locale et divise la société française depuis lors.

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Le Proviseur, M.Chénière, garant de l'application du principe de laïcité de l'école, au sein de laquelle il n'est pas permis de revendiquer d'appartenance politique, idéologique, partisane et religieuse, conformément aux précisions apportées à la loi de 1905 par les circulaires Jean Zay de 1936 et 1937 sur la propagande politique et religieuse à l'Ecole, refuse de céder aux injonctions communautaires et religieuses.

À la rentrée scolaire de 1989, trois élèves de confession musulmane du collège Gabriel-Havez de Creil, dans l’Oise, sont exclues en raison de leur refus d’enlever leur voile en entrant dans l’établissement.

Ce qui apparaît à l’époque comme une nouveauté va en effet devenir une composante structurelle du débat public jusqu’à aujourd’hui, et faire l’objet d’une politisation accélérée.

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On assiste dans la même période, depuis l’arrivée au pouvoir des religieux en Iran en 1979 notamment, à une poussée de lectures radicales de l’islam – islamistes au sens général du terme – qui deviennent, dans nombre de pays du monde arabo-musulman, des outils de contestation des régimes en place. Ces lectures, intégristes, fondamentalistes, littéralistes… mais aussi souvent politiques, se déploient également dans les pays où d’importantes populations de religion musulmane sont présentes en raison de l’immigration des décennies précédentes. C’est le cas en France, où, comme on l’a vu plus haut, des revendications pour l’égalité des droits et une meilleure intégration ont eu lieu au début des années 1980.

 

À l’automne 1989, on est d’ailleurs encore sous le choc de l’affaire dite des Versets sataniques, du nom de l’ouvrage de Salman Rushdie, écrivain britannique d’origine indienne, qui lui vaut d’être frappé par une fatwa en forme de sentence de mort de l’ayatollah Khomenei, « guide suprême » de la révolution iranienne, le 14 février 1989. Les interdictions du livre, et le déchaînement de haine publique auquel il donne lieu [...] dans le monde arabo-musulman, sont le premier épisode médiatique de cette radicalisation religieuse. 

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Dans l’affaire de Creil, les signes de cette radicalisation sont perceptibles.

Dans un article du 9 octobre intitulé « Les tchadors de la discorde », l’envoyé spécial du Figaro à Creil fait état de propos tenus par les jeunes femmes au cours d’un entretien dans le bureau du principal, qui ne laissent aucun doute sur leurs intentions : « Nous sommes des folles d’Allah, nous n’enlèverons jamais notre foulard, nous le garderons jusqu’à notre mort ». Deux groupuscules fondamentalistes organisent d’ailleurs une manifestation d’environ 800 personnes en faveur du port du voile à Paris, le 22 octobre.

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Division

 

Le ministre de l’éducation nationale, Lionel Jospin, qui a proposé (dans un entretien paru dans Le Nouvel Observateur du 26 octobre et dans son intervention faite le 25 devant l’Assemblée nationale) pour sortir de la crise que les chefs d’établissement mettent en oeuvre « un dialogue avec les parents et les enfants concernés pour les convaincre de renoncer à ces manifestations » (le port de signes religieux) mais qu’en cas d’échec de ce dialogue, « l’enfant – dont la scolarité est prioritaire – doit être accueilli dans l’établissement public ».

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Lionel Jospin n’est pas le seul, à gauche, à tenir la ligne de l’apaisement et de la conciliation, au nom de la laïcité et de la tolérance qu’elle induit. Ainsi, Malek Boutih, vice-président de SOS Racisme, déclare-t-il qu’il est « scandaleux que l’on puisse au nom de la laïcité intervenir ainsi dans la vie privée des gens, malmener les convictions personnelles […] En aucun cas, une sanction ne peut être infligée à des élèves en vertu de leur foi » avant de demander que les trois élèves soient réintégrées. 

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Parmi les hauts responsables de gauche, seul Jean-Pierre Chevènement, ministre du même gouvernement que Lionel Jospin, écrit dans Le Monde du 9 novembre : « L’école publique s’est imposée historiquement en France avec l’esprit de libre examen, contre la mainmise de l’Eglise sur l’éducation et l’esprit des enfants. Si d’autres formes d’obscurantisme se lèvent, l’esprit de libre examen reste aussi nécessaire aujourd’hui qu’hier à la République. Et par conséquent la laïcité ».

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Le camp laïque va se retrouver autour du texte publié le 2 novembre dans Le Nouvel Observateur, « Profs, ne capitulons pas ! » par cinq intellectuels (Elisabeth Badinter, Régis Debray, Alain Finkielkraut, Elisabeth de Fontenay, Catherine Kintzler).

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La grande originalité du texte des cinq intellectuels républicains est de lier, pour la première fois, de manière très étroite, l’argument laïque et l’argument féministe.

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« Ce n’est pas, Monsieur le Ministre, en réunissant dans le même lieu un petit catholique, un petit musulman, un petit juif que se construit l’école laïque. L’école s’efforce d’installer un espace où l’autorité se fonde sur la raison et sur l’expérience : cela est accessible à tous. A ce titre, et parce qu’elle s’adresse à tous, l’école n’admet aucun signe distinctif marquant délibérément et a priori l’appartenance de ceux qu’elle accueille. »

 

« Accueillir tous les enfants », dites-vous. Oui. Mais cela n’a jamais signifié faire entrer à l’école, avec eux, la religion de leurs parents, telle quelle. Tolérer le foulard islamique, ce n’est pas accueillir un être libre (en l’occurrence une jeune fille), c’est ouvrir la porte à ceux qui ont décidé, une fois pour toutes et sans discussion, de lui faire plier l’échine. Au lieu d’offrir à cette jeune fille un espace de liberté, vous lui signifiez qu’il n’y a pas de différence entre l’école et la maison de son père. En autorisant de facto le foulard islamique, symbole de la soumission féminine, vous donnez un blanc-seing aux pères et aux frères, c’est-à-dire au patriarcat le plus dur de la planète. En dernier ressort, ce n’est plus le respect de l’égalité des sexes et du libre arbitre qui fait loi en France. D’une seule phrase, vous avez désarmé ces milliers de jeunes musulmanes qui se battent ici et là pour leur dignité et leur liberté. Leur plus sûr allié contre l’autoritarisme des pères était l’école laïque et républicaine. Aujourd’hui, elles l’ont perdu. Vous avez fait un marché de dupes, Monsieur le Ministre, en échangeant la libération et l’intégration, certaines et constatables, des jeunes filles musulmanes contre l’espoir hypothétique d’un retour à la tolérance des intégristes, par définition ennemis de la tolérance ».

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SB

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